Article écrit par Vincent Luycx
Introduction
Les cryptomonnaies en disent long sur ce que nous sommes et leurs usages révèlent parfois nos plus bas instincts.
Non, je n’évoquerai pas ici les crypto-virus vous avertissant avec bienveillance qu’ils ont détecté un problème et sont prêts à vous aider à restaurer vos précieux fichiers moyennant versement d’une contribution pour la peine générée (sic).
Je ne parlerai pas non plus des usages illicites sur le dark web, où l’inventivité est certes présente, la panoplie d’offre de services est impressionnante, mais donne rapidement froid dans le dos.
Non, je voudrais humblement évoquer ici quelques témoignages de mes pérégrinations dans le monde des cryptomonnaies, des blockchains ou encore plus largement, des Digital Layer Technologies (DLT).
Premiers pas
Je me suis penché en premier lieu sur le Bitcoin (BTC) fin 2014, ça ne fait pas de moi un early adopter, c’est beaucoup plus hype de dire qu’on s’y intéresse depuis plus de 10 ans (certains pourront enfin bientôt le clamer, sans pour autant commettre un parjure, les premiers blocs Bitcoin datant de 2009)
Entre fin 2014 et mi-2015, j’ai assisté à pas mal de conférences, lu un peu tous les articles qui me passaient entre les doigts (mes alertes Google étaient encore tout à fait ingérables) mais je ne suis jamais rentré dans la technique pour autant ; j’étais intéressé de découvrir cet écosystème, comprendre quels pourraient en être les usages et essayer d’identifier quels POCs nous pourrions mettre en œuvre dans un contexte bancaire.
Jusque fin 2017, un des retours du Gartner sur le Bitcoin / blockchain (les 2 sujets ont longtemps été entremêlés) était que le vrai business de ces nouvelles technos résidait essentiellement dans l’organisation de colloques / forums / conférences : la course était à celui qui s’annonçait prêt à donner de la visibilité sur les cas d’usage… moyennant ticket d’entrée. Début 2015, j’ai d’ailleurs assisté à une de ces conférences pour 1 Bitcoin, le prix semblait alors symbolique…
J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer une société spécialisée sur ces technologies tout début 2015 et nous avons pu déployer un système décentralisé de règlement de… café ! Nos cafés étaient payés en Bitcoin par le client, convertis en euros vers le marchand. Le risque de change était donc assumé par le client lui-même et le café du matin ne valait pas forcément le même montant BTC que le café de l’après-midi. C’était hype, c’était chouette.
Nos cafés étaient financés par le dur labeur d’un (vieux) mineur de 6 mois (quasi en fin de vie donc) qui a pu vaillamment se battre dans son pool pour apporter sa puissance de calcul et récupérer sa part de Bitcoins. Les cafés étaient bon marché, leur saveur à peine altérée par leur digitalisation, mais pour 0.0025 BTC à ce moment-là, ça nous fait encore aujourd’hui (juillet 2019) le café à près de 25 EUR, plutôt luxueux comme café !
ICO – The DAO
Quelques mois plus tard, je me suis intéressé à ce qui devait être une des premières ICO (Initial Coin Offering), levée de fonds de projets axés sur les cryptomonnaies, c’était le projet The DAO (Digital Autonomous Organization).
Une idée plutôt intéressante sur le papier, visant à collecter des fonds, distribuant en retour des tokens (basés sur Ethereum, ETH), correspondant à des droits de votes, permettant d’élire et déployer des projets, financés via ces fonds, dont les fruits seraient reversés dans le pot The DAO, permettant eux aussi de faire éclore de nouveaux projets, tout ceci de façon dématérialisée et automatisée.
Joli succès de levée de fonds, près de 125 millions de dollars en quelques semaines.
Pour voir, j’ai transféré quelques bouts de Bitcoins, transformés par une obscure plateforme en Ethers, eux-mêmes transformés en tokens The DAO.
Les montants en jeu étaient faibles, les interfaces un peu bugguées, le cœur serré à chaque submit, jamais certain du succès ou non de la transaction, le cœur serré mais léger, de faire partie des pionniers sur ces nouvelles technologies et soulagé quand le transfert s’opérait sans problème.
Le succès de The DAO fut de courte durée, rappelez-vous ces bas instincts que j’évoquais plus haut.
La littérature sur ce sujet ne manque pas, mais en résumé et avec quelques raccourcis, 2 à 3 semaines après la fin de la levée de fonds et la distribution des tokens aux investisseurs, un événement majeur se produit : fraude pour les uns, simple utilisation du protocole pour les autres, quoi qu’il en soit, le résultat est le transfert d’environ 50 millions de dollars en tokens vers une adresse Ethereum d’un particulier.
Ce dernier avait trouvé une faille (ou une feature, c’est selon où l’on se place dans ce débat que je ne relancerai pas).
Grosso modo, ce possesseur de token avait trouvé un moyen de se faire rembourser la valeur de ses tokens The DAO via un smart contract (à comprendre comme une unité de code informatique, exécuté sur la blockchain concernée) prévu à cet effet, à ceci près qu’avant de mettre à jour le solde de son «compte» suite à ce retrait, il enchaîne une autre demande de retrait pour le même montant, avant de faire une nouvelle demande… la récursivité était de son côté.
Résultat des courses : une fuite de près du tiers des tokens vers une adresse rapidement connue ; le point positif du smart contract The DAO était qu’une période de blocage d’environ 1 mois était prévue avant mise à disposition des fonds et a donc bloqué cette tentative de détournement pendant un temps… Pour plus de détails, consultez To fork or not to fork, telle est la question ! et Le (soft) fork n’aura pas lieu. Pourquoi ? Et maintenant ?. La résolution de cet incident a mené à un hard fork, ayant permis la création des ETC (Ether Classic), face aux ETH (Ether). Ether Classic provient d’un refus de certains pools de mineurs (une minorité) de procéder à « l’annulation » de cette transaction frauduleuse. Ils se sont baptisés ‘classic’ car estimant que l’irrépudiabilité et l’immuabilité d’une blockchain sont des qualités essentielles des DLTs et que revenir en arrière ou annuler une transaction est contre nature. À ce jour, ETH et ETC vivent leur vie chacun de leur côté, et ont trouvé leur propre marché.
Cet événement a été un des premiers forks majeurs d’Ethereum, la blockchain Bitcoin a elle aussi vécu ses propres forks, ayant amené notamment à la création des BCH (Bitcoin Cash) et plus récemment encore SVG (ex-Bitcoin ABC).
Le principe est toujours le même : dans ce monde libre, quand une décision majeure intervient sur le devenir d’une blockchain (par exemple, pour en modifier les caractéristiques techniques, comme la taille des blocs) et la façon dont il faut poursuivre son exploitation, le consensus cher aux DLT n’est pas forcément atteint par les mineurs qui l’outillent et un schisme peut naître, si une minorité suffisante de mineurs décide de poursuivre le minage de la version précédente de la cryptomonnaie.
Quoi qu’il en soit dans le cas qui nous occupe, le hard fork a permis d’éviter la fuite d’ETH vers l’adresse incriminée, tout en attribuant à cette dernière le montant transféré, mais en ETC. Fait intéressant des hard forks, un de ses effets est en général d’octroyer au propriétaire d’une adresse le même nombre de la nouvelle cryptomonnaie que ce dont il disposait avant fork. Un détenteur de 100 ETH se voyait donc octroyer 100 ETC, en théorie du moins. En pratique, juste après le fork, seuls quelques mineurs ont décidé de poursuivre sur une blockchain parallèle avec une nouvelle cryptomonnaie, et encore faut-il que les wallets, qui permettent d’accéder à ces cryptomonnaies, décident eux aussi de réaliser les développements nécessaires pour supporter les 2 blockchains ; certaines cryptomonnaies restent donc parfois inaccessibles via les wallets du marché. (cf. le cas récent — fin 2018 — du SVG non supporté par le wallet de blockchain.info, un excellent wallet des cryptomonnaies majeures)
Pour revenir à The DAO, la décision qui a donc pesé le plus dans la balance était de récupérer les fonds ayant fuité (grâce au protocole), et de liquider ensuite The DAO via remboursement de ses investisseurs. Fin de l’histoire de ce qui aura été la plus importante et la plus inutile des levées de fonds.
Suite à cela, plusieurs entités se sont engouffrées dans cet eldorado de levées de fonds (ICO) : il suffisait de créer un white paper bien ficelé, parsemer de communication grandiloquente (avec un joli site web), et l’intérêt nouveau suscité par ces nouvelles technologies suffisait pour lever des fonds sans trop d’effort. Beaucoup d’ICO n’avaient d’objet que la levée de fonds, à tel point qu’une mini-croisade Twitter / Facebook a visé à éviter la propagation de publicités pour ces ICO, le régulateur y a également regardé de plus près, afin d’éviter les débordements et déboires que beaucoup d’investisseurs de cette nouvelle économie ont connu.
Dans un prochain article, je vous évoquerai 2 autres témoignages de cet univers. J’espère que vous aurez appris quelque chose en me lisant.