L’accessibilité numérique des sites internet de l’État, des plateformes de e-commerce et plus largement de l’ensemble des sites web en France constitue un défi majeur. Elle vise à concevoir des solutions numériques inclusives, essentielles pour garantir l’accès à tous.
La conférence A11y Paris était de retour cette année pour sa 6e édition. Organisée par l’association Valentin Haüy et Tanaguru, cette journée est l’occasion d’aborder les problématiques concrètes rencontrées par les personnes en situation de handicap.
En réunissant des experts des secteurs du e-commerce, du bancaire, et des utilisateurs concernés, l’événement favorise les échanges de pratiques et de connaissances pour construire un web réellement accessible à tous.
L’engagement pour l’accessibilité numérique en France a débuté avec la loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances. En 2025, cette démarche prend une dimension renforcée avec l’entrée en vigueur de la directive européenne sur l’accessibilité numérique, prévue pour le 28 juin 2025.

Quelques chiffres clés
La Fédération des Aveugles de France, fondée en 1917, a partagé des données sur le respect des obligations légales en matière d’accessibilité numérique. Trois objectifs guident leur démarche : alerter, identifier les secteurs prioritaires et mesurer les évolutions.
En 2025, sur 7309 sites analysés, seulement 264 respectaient leurs obligations d’affichage, soit 3,6 %.
À ce jour, les entreprises concernées par la loi sont celles dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros. La Fédération a dressé un état des lieux dans les secteurs les plus exposés :
- Secteur bancaire : 32 entités sur 132 ont entamé les démarches, mais aucun site n’est totalement accessible.
- E-commerce : 28 plateformes sur 610 ont mis en place les éléments requis.
En moyenne, les entreprises mettent 6 à 12 mois après un audit pour commencer à déployer les mesures nécessaires. Et très peu d’acteurs sont aujourd’hui prêts pour l’échéance de juin 2025, d’autant que cette loi abaissera le seuil d’éligibilité à 2 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
L’objectif est désormais de poursuivre les études avec un suivi sectorisé plus fin.
Contexte juridique : que dit la loi ?
Une directive européenne n’est pas d’application directe : chaque État membre doit la transposer dans son droit national.
Avant le 28 juin 2025, la directive 2016/2102 s’applique au secteur public et aux entreprises privées avec un chiffre d’affaires supérieur à 250 M€. Elle impose la publication d’une déclaration d’accessibilité, d’un schéma pluriannuel et d’un plan d’action annuel.
À partir du 28 juin 2025, entre en vigueur la directive 2019/882, qui élargit ces obligations à toutes les entreprises dépassant 2 M€ de chiffre d’affaires. La transposition française a pris du retard, mais les exigences deviennent beaucoup plus larges.
Certaines exemptions restent possibles jusqu’en 2030, notamment pour les services existants ou les équipements en fin de vie.
Qu’est-ce que l’exigence d’accessibilité ?
- Perceptible : le contenu doit pouvoir être perçu par tous les sens disponibles.
- Utilisable : les éléments de navigation doivent être facilement manipulables.
- Compréhensible : l’information et l’interface doivent être claires et logiques.
- Robuste : le contenu doit être lisible par des technologies d’assistance.

Les normes d’accessibilité
La norme EN 301 549 (issue de la directive 2016/2102) est la base réglementaire. En France, le décret n°2019-768 précise son application via le RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité), qui fournit une méthode d’audit et une grille de conformité.
Sanctions en cas de non-conformité
Les sanctions financières s’intensifient avec la nouvelle réglementation :
- Secteur privé : jusqu’à 7 500 € d’amende, 15 000 € en cas de récidive.
- Secteur public : amendes pouvant aller jusqu’à 50 000 €.
Des pénalités journalières peuvent s’appliquer en cas d’inaction prolongée. L’absence de publication de la déclaration d’accessibilité est également sanctionnée.
Entités de contrôle
DGCCRF (Direction Générale de la concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes)
La DGCCRF élargira son champ d’action à l’accessibilité numérique dès l’entrée en vigueur de la directive 2019/882, le 28 juin 2025.
Voici ce qu’on a retenu : elle contrôlera que les produits concernés – ordinateurs, smartphones, tablettes, terminaux en libre-service, etc. – intègrent des caractéristiques d’accessibilité : interface, packaging, documentation, etc.
Les contrôles viseront en priorité les services de communication électronique, les services médias audiovisuels et les interfaces de services accessibles via internet. La DGCCRF vérifiera notamment le respect des 4 exigences fondamentales de l’accessibilité : Perceptible, Utilisable, Compréhensible, Robuste.
Les obligations légales pour les entreprises incluent :
- Garantir la conformité des produits et services à la réglementation.
- Établir une documentation technique décrivant les caractéristiques d’accessibilité.
- Rédiger et conserver une déclaration de conformité pendant une durée de 5 ans.
- Mettre en place des procédures de contrôle interne pour garantir la conformité continue.
L’idée clé est d’introduire une chaîne de responsabilité : chaque acteur, de la fabrication à la distribution, est responsable de la conformité de ce qu’il produit, commercialise ou intègre dans ses systèmes.
Certaines exemptions sont prévues dans des cas spécifiques : si la mise en conformité entraîne une charge disproportionnée ou modifie fondamentalement la nature du produit ou service, des dérogations peuvent être accordées.
Le secteur du transport sera prioritairement contrôlé en 2025. Une nouvelle version de SignalConso permettra prochainement aux usagers de signaler plus facilement des problèmes liés à l’accessibilité numérique.
ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique)
Voici ce qu’on a retenu : L’ARCOM jouera également un rôle clé dans le respect des obligations d’accessibilité. Ses leviers d’action comprennent :
- Des courriers de sensibilisation aux acteurs concernés,
- Des mises en garde officielles,
- Des mises en demeure assorties de délais de mise en conformité,
- Et, en dernier recours, des sanctions administratives.
Les premiers contrôles ont déjà débuté, avec une montée en puissance attendue en 2025. L’ARCOM travaille également sur :
- Le développement d’outils d’analyse automatisés pour faciliter les vérifications à large échelle,
- Une évolution du RGAA pour l’adapter aux nouveaux usages et aux contraintes des professionnels,
- Et une communication renforcée à destination des entités assujetties, pour mieux faire connaître leurs obligations.
À noter : pour signaler un problème d’accessibilité concernant un média audiovisuel, il est possible de passer par le formulaire de contact de l’ARCOM, rubrique Accessibilité des programmes.
Intégrer l’accessibilité à l’échelle
La DINUM (Direction interministérielle du numérique) a présenté une vision plus opérationnelle de l’accessibilité à travers l’exemple de beta.gouv.fr, l’incubateur de services publics.
Voici ce qu’on a retenu : l’accessibilité doit être pensée comme un sujet transverse, intégré dès les premières étapes des projets. L’attente de retours d’audits ou l’intervention tardive d’un expert ne permettent pas de construire des services réellement accessibles et évolutifs.
Les leviers d’une accessibilité efficace selon la DINUM :
- Intégration dès la conception : les réflexes d’accessibilité doivent intervenir dès la création des maquettes, des composants ou des spécifications fonctionnelles.
- Montée en compétence collective : plutôt que de s’appuyer exclusivement sur un expert A11Y, il est crucial de former toutes les équipes (UX, dev, PO…) pour éviter les dépendances, les goulots d’étranglement et la perte de savoir liée au turnover.
- Formats d’accompagnement variés : réunions régulières, design reviews, documentation, tests utilisateurs, ateliers de sensibilisation…
Inspiré du “Accessibility Operations Guidebook” de Devon Persing, le modèle Accessibility Ops (ou A11y Ops) propose d’intégrer l’accessibilité comme une fonction continue, structurée et distribuée dans les organisations.
L’idée centrale est de créer une interface entre les experts, les équipes techniques et les parties prenantes, en adaptant les processus à la réalité des projets. Cette démarche permet de :
- Centraliser la documentation et les bonnes pratiques,
- Normaliser les méthodes (checklists, critères d’acceptation A11Y, processus d’audit),
- Assurer la continuité entre les phases projet et les cycles de vie des produits,
- Mettre en place des KPI d’accessibilité intégrés aux outils de suivi (Jira, GitLab, etc.).
Dans le cas de la DINUM, où de nombreux produits sont en phase d’incubation, cette approche permet de s’éloigner de la logique d’audit complet (souvent inadapté à des MVP ou prototypes) pour adopter une démarche d’amélioration continue plus réaliste.
Le mot d’ordre : faire simple, régulier, adapté, et accepter que l’accessibilité se construit dans l’itération, pas dans l’exhaustivité immédiate.
Cela passe notamment par :
- Des inspections manuelles ciblées,
- Une analyse continue sur des échantillons représentatifs,
- Une capitalisation progressive des retours utilisateurs et des actions menées.
Tables rondes : état des lieux du terrain

Les échanges entre professionnels du e-commerce et du secteur bancaire ont mis en lumière des difficultés concrètes :
- Pilotage non structuré,
- Manque de formation,
- Difficultés à exploiter les audits d’accessibilité.
Pour surmonter ces freins, une stratégie globale, avec budget dédié, plan d’action clair et réseau interne de relais, est indispensable.
Le turnover et le manque d’expertise restent des obstacles majeurs à la pérennité des bonnes pratiques.
Conclusion
On parle souvent du ROI de l’accessibilité, mais il ne devrait pas s’agir d’un débat : c’est un droit fondamental.
Vingt ans après la loi de 2005, cette nouvelle directive valorise enfin les efforts portés depuis des années par de nombreux acteurs. Il reste encore du chemin pour garantir l’autonomie et l’accès aux services numériques pour toutes les personnes en situation de handicap.
Pour aller plus loin
Votre entreprise est concernée par la nouvelle réglementation en vigueur depuis le 28 juin 2025 ? Vous avez besoin d’un audit ou d’un accompagnement à la mise en conformité ?
👉 Pour en savoir plus sur les obligations légales et découvrir comment Ouidou peut vous accompagner, consultez notre page dédiée à l’accessibilité numérique.
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